jeudi 11 septembre 2014

Spécial 40 ans - Interview de Jet Black

11 septembre 1974 / 11 septembre 2014: les Stranglers ont 40 ans. C'est en effet à cette date, 40 années auparavant, que Jet a enregistré le nom du groupe auprès de l'organisme britannique chargé du dépot des noms de sociétés, Companies House.  [voir document en fin d'article]


A l'occasion de cet anniversaire, Jet nous a accordé une interview exclusive qui nous a permis de revenir sur sa carrière avec et avant les Stranglers, ainsi que sur les liens entre la France et le groupe.


Le groupe a une attache particulière avec la France : de par l’origine de JJ et la proximité géographique de nos deux pays, les Stranglers ont beaucoup joué chez nous. Quels sont tes premiers souvenirs, tes premières impressions quand tu as traversé la Manche pour venir jouer tes premiers concerts avec le groupe ?

Nos premiers concerts en France ont eu lieu il y a très longtemps [NDLR : avril 1977] et le souvenir s’en efface dans ma mémoire mais ce dont je me souviens, c’est de notre complète inadaptation à l’endroit, à l’époque. Ce n’était pas spécifique à la France d’ailleurs, parce que nous étions aussi largement ignorés et rejetés à la maison, dans les premiers temps.
Ce qui était particulièrement évident aussi, c’est que nous étions complètement inconnus. Les concerts -si on peut les appeler comme ça- avaient lieu dans des endroits où il n’y avait réellement pas plus de quelques personnes. Il y avait aussi des problèmes logistiques dans les tournées dus au fait qu’il ne semblait pas y avoir une culture rock développée en France, à ce moment. C’était comme si nous avions tourné dans un microcosme français où le public ne se déplaçait pas. Ça nous paraissait très étrange mais ça s’est amélioré avec le temps.


A partir de 1977, vous avez très rapidement sillonné l’Europe. La France occupait-elle une place à part dans votre volonté de vous exporter hors du Royaume Uni ?

Pas vraiment. Je pense que la première raison, c’est que la France était là, relativement proche, et donc que c’était l’étape suivante. Si la Tasmanie avait été à notre porte, c’est probablement là que nous aurions été en premier.
Qu’étions-nous en droit d’attendre en débarquant en France -ou dans n’importe quel autre endroit ?- je pense que nous n’en savions rien à l’époque. Peut-être que la chose à laquelle nous nous attendions, c’était d’avoir des problèmes à cause de la barrière de la langue. Je pense que notre premier public n’avait aucune idée de ce dont nous parlions. Même pour ceux qui parlaient anglais, le style familier des « ballades » des Stranglers devait être inaccessible à la majorité et le reste encore aujourd’hui à beaucoup de personnes.
En fait, la France n’est pas le premier pays étranger où nous avons joué. Cet honneur douteux revient aux Pays-Bas. Notre manager de l’époque avait des contacts avec un propriétaire de club à Amsterdam et nous y sommes allés pour un concert ou deux. Il ne s’agissait pas d’une tournée, juste d’une date. La tournée en France [NDLR : partiellement avortée] a été la première sur le continent européen.


Comment qualifierais-tu le public français ? Plus discret, moins « direct », plus « intello » que vos fans anglais ?

Ha ha. C’est un peu difficile d’apprécier le degré d’intelligence de quelqu’un depuis ma place sur la scène. Je peux seulement faire des généralisations. Le public dans le monde entier semble hétérogène par nature, au moins le nôtre. J’aime à penser que c’est parce que nous avons quelque chose à offrir à chacun. Les Stranglers n’ont jamais été un groupe avec un style unique.
Mais la caractéristique la plus distinctive du public ne réside pas tant dans son intelligence ou son comportement -ce qui n’est pas évident à voir- que dans son intensité. Et ceci, je suppose, est à mettre en relation avec notre réputation ou notre absence de réputation dans un territoire.


Pourquoi avoir choisi la batterie ? Tu avais une prédilection pour cet instrument depuis longtemps ou le hasard des rencontres, de la vie t’a amené à choisir les percussions ?

J’ai fait une interview avec Ava Rave à ce sujet et cet échange a été incorporé à notre site web dans la section « Features », ça s’appelle « Banging on about drums ». Bien sûr, c’est en anglais ce qui peut constituer un problème pour certains des lecteurs du blog. Cette interview couvre une grande partie de ma vie musicale mais pour répondre au point spécifique que tu me demandes, à partir de mes premières années d’adolescence, j’ai conçu une grande fascination pour la batterie et le jeu des batteurs. Comment ça s’est produit ensuite, vous verrez -si vous le lisez- que ça a été le fruit du hasard, comme tu le suggères.


Extrait de Banging on about drums 
Je pense que mon intérêt pour la musique s’est mis à refleurir vers 14/15 ans. Ça n’a pas été une révélation soudaine, ça a pris du temps.
J’étais influencé très largement par le cercle d’amis que je m’étais fait à l’époque. Ils étaient tous talentueux en musique et jouaient d’un instrument très bien pour leur âge ; deux d’entre eux étaient même remarquables. Nous avons formé un « school band ».
Ce n’était pas à strictement parler un « groupe d’école » dans la mesure où je sortais du lot, n’étant pas allé à la même école que les autres. C’étaient des élèves de la filière générale tandis que j’avais très peu fréquenté les bancs de l’école à cause de mon asthme.
Mes copains jouaient tous de la musique ensemble à l’école et j’étais juste au bon endroit, au bon moment. Je connaissais un certain nombre de ces gars parce que je vivais à côté de chez eux.
On s’est débrouillé pour avoir accès au local jeunesse du coin pour les répétitions bien qu’au début, je n’ai été qu’un spectateur. Il me tardait maintenant d’appartenir à ce nouveau monde excitant. (…) Je ressentais un désir d’apprendre renouvelé et ardent.
Je commençais à ce moment à penser à la batterie mais il ne pouvait pas en être question sur le plan financier. Malgré tout, j’ai compris que je pouvais me procurer une clarinette à peu de frais. Alors j’ai essayé. A ce moment, j’avais acquis quelques connaissances en musique.
On se rendait dans les pubs locaux qui programmaient de la musique et les salles de concert où j’ai vu tous les grands noms de l’époque. Ça n’a pas pris beaucoup de temps -après avoir vu de près des groupes professionnels- pour que je sois attiré encore plus par la batterie. Ça me fascinait. Je voulais être un batteur, je pensais que c’était possible, j’avais une intuition pour cela.
J’écrivais à tous les fabricants de batterie pour me procurer leurs catalogues et les feuilletais pendant des heures. Ça me paraissait tellement désespéré, je ne pouvais pas comprendre comment quiconque pouvait se payer le matériel. Je n’avais jamais eu d’argent et ne comprenais pas le côté financier des choses.
Un jour, nous répétions un morceau -je ne me souviens pas lequel- et le batteur n’y arrivait pas. On s’est arrêté et on a recommencé, je ne sais combien de fois. Soudain, sous le coup de la frustration, je me suis levé, suis allé à la batterie et ai dit : « fais comme ça » en m’asseyant derrière le kit et en jouant.
Je suppose que j’ai dû faire impression parce que tout le monde m’a regardé avec étonnement et à partir de là, m’a harcelé pour que je prenne la batterie. C’était toujours impossible mais il y avait néanmoins une lueur au bout du tunnel.
Je suis devenu un apprenti charpentier/menuisier/ébéniste. Pour la première fois, j’ai commencé à avoir de l’argent, même si ce n’était pas grand-chose. Un jour, j’ai pensé que j’avais maintenant suffisamment d’argent pour approcher le batteur et lui faire une offre de rachat de son kit.
La chose étrange, maintenant que j’y repense, c’est qu’il était d’accord pour vendre son kit et abandonner la batterie, il voulait juste le fric. Si cet épisode insignifiant ne s’était pas produit, peut-être que nous ne serions pas assis là pour en discuter. C’est ce que je trouve réellement fascinant. Un tout petit événement a façonné toute une vie.
Pour en revenir à ce jour, ça a été encore un échec. Je n’avais pas suffisamment d’argent et il n’allait pas me donner son matériel. En fait, ce kit, c’était un tas de merde, vraiment de la merde. Mais au moins, c’était un début. Toute chose doit avoir un début.
Quoiqu’il en soit, je pense que je suis finalement arrivé à convaincre maman de me prêter un peu d’argent et est venu le jour où j’ai fait une autre offre qui a été acceptée, bien qu’à contrecœur. Tout d’un coup, j’étais devenu un batteur !



Tu as souvent dis que ton jeu de batterie n’était construit que pour compléter, mettre en valeur les chansons du groupe. Une discrétion subtile mais très efficace. Pourquoi avoir fait ce choix qui d'une certaine façon mettait inversement en évidence la présence très forte de la basse de JJ ?

Bien que je sois un batteur, je ne suis pas de ceux qui révèrent le jeu de batterie. Bien sûr, je peux apprécier une bonne performance mais, pour être honnête, c’est la chanson ou la musique qui m’attire, pas la batterie.
Il m’a toujours semblé que mon travail consistait à rendre une bonne chanson encore meilleure par mon jeu plutôt que de faire une démonstration de mes talents de batteur. Pour moi, la batterie n’est pas le principal, c’est la chanson qui prime. C’est une de nos caractéristiques principales.
En ce qui concerne le son de la basse de JJ, c’est, et ça a toujours été, un élément fondamental du son du groupe. JJ et moi avons toujours eu une relation symbiotique dans laquelle nous travaillons étroitement pour combiner nos lignes rythmiques. Je ne peux pas me mesurer à JJ en terme de domination sonore et ne veux pas essayer. Je le complète juste, ce qui est au cœur de l’usine Stranglers.


Sur le plan scénique, tu as rapidement joué sur le côté droit de la scène, avec Dave positionné à côté de toi. Qui a décidé d’une telle configuration qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a jamais changé ?

C’est juste une question physique. Dans ma position, je peux regarder à gauche très facilement tandis que regarder à ma droite est très difficile. Donc je suis positionné à droite de Dave -c’est-à-dire à sa gauche quand on regarde la scène- parce que je peux facilement voir Dave en particulier, mais aussi Baz. Le fait que JJ soit devant moi ne constitue pas un problème. Donc ça a été la configuration depuis les tous débuts du groupe pour ces simples raisons pratiques.


Es-tu exigeant avec ton matériel ? Une marque en particulier, un dispositif ou une mise en place qui t’es propre ? 

Seulement parce que j’ai besoin de ce dont j’ai besoin. Je ne suis pas un fanatique du matériel mais j’ai besoin de quelque chose de solide qui me permette de faire ce que je fais.
En ce qui concerne la configuration, n’importe quel batteur vous dira que quasiment chaque instrumentiste a sa propre configuration, pour des raisons pratiques et en premier lieu, à cause de sa forme physique et de ses mensurations. Chaque kit est plus ou moins construit à la demande.
Comme les bras et les jambes de chaque batteur offrent différentes possibilités d’extension, on place les caisses en fonction. Il y a aussi une question de technique. Il y en a qui vont trouver difficile de faire certains mouvements avec leur matériel dans une certaine position donc chaque batteur aura une configuration légèrement différente. Il y a beaucoup de paramètres, des centaines, voire des milliers. Tu ne peux pas avoir une configuration unique qui convienne à tout le monde, au moins pas à un niveau professionnel. Le batteur a besoin de se sentir à l’aise pour donner le meilleur.


Ton jeu sur les morceaux Jazzy (Golden Brown, Dutch Moon) est d’une grande délicatesse et toujours empreint d’une grande sobriété. Aurais-tu aimé joué plus souvent ce genre de répertoire acoustique ? Voire enregistrer un disque complet et officiel ?

Je ne le vois pas en ces termes. J’attaque chaque chanson comme elle vient. On ne sait pas vraiment comment la prochaine va sonner avant qu’on se soit mis à travailler dessus. Une partie du plaisir en musique est qu’il semble y avoir une infinité de possibilités. Alors tu as plus de chance de réfléchir à la prochaine possibilité que de refaire une chanson qui soit comme la précédente.


Un dernier mot sur la batterie : comment as-tu trouvé ton jeune remplaçant sur la dernière tournée ? De notre côté nous avons trouvé qu’il apportait une jolie frappe au groupe avec, de surcroît, une belle tenue en scène.

Tu veux dire Jim McCaulay ? c’est un très bon batteur. Bien sûr, il ne sera jamais Jet Black. Il est trop jeune et trop beau !


Après une période difficile à 5, vous avez retrouvé à nouveau de l’envie, de l’enthousiasme mais aussi du succès sur le plan créatif, avec ce retour à 4. Les Stranglers sont repartis vers les sommets en termes de popularité et même d’admiration. Que penses-tu de ce phénomène ?

Je pense que ça illustre les hauts et les bas d’une carrière. A cet égard, nous sommes juste comme les autres groupes. A chaque étape, on doit faire des choix basés sur les options possibles à un moment. Des fois, vous rebondissez grâce à ça, des fois non. C’est le rock !


Aurons-nous la chance de découvrir l’année prochaine un nouvel album ?


Je préfère ne pas répondre. L’année prochaine, c’est encore loin.


Vous avez sorti en 1981 un album concept qui est aujourd’hui encensé par son aspect novateur et expérimental mais qui fut à l’époque descendu en flamme par les critiques. Avec le recul des années, comment juges-tu ce disque ?

Je pense que je parle au nom de tout le monde quand je dis que nous sommes fiers de l’avoir fait, en dépit des gens qui râlaient et pestaient autour de nous. Ça a été une exploration musicale intéressante et il a passé l’épreuve du temps. Notre biographe l’a décrit il y a quelques années comme un chef d’œuvre avec des défauts. Ça me convient.


Tu t’étais beaucoup investi sur le concept de cet album. En 2014, que dirais-tu au sujet de ces fameux Meninblacks ? 

Et bien, le phénomène semble encore être d’actualité et je n’en sais pas plus aujourd’hui qu’à l’époque. Bien que je ne vois plus grand-chose d’écrit dessus aujourd’hui. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a moins d’écrits sur le sujet ou si c’est parce que je ne regarde pas au bon endroit.


Revenons un peu sur ton parcours. Tu avais une différence d’âge assez marquée avec les autres membres du groupe. Comment gérais-tu ce décalage quasi générationnel ? Avais-tu un rôle de grand frère ou pas ?

Je n’y ai jamais beaucoup pensé mais il y avait des piqûres de rappel de temps en temps. J’entendais des conversations parfois qui me faisaient sourire. Je me souviens d’avoir entendu Hugh et JJ parler et l’un des deux disait : « Je viens juste de comprendre qui était Les Paul ». J’avais l’habitude d’acheter ses disques !


On te présente souvent comme « l’ancre » du groupe. Tu devais probablement constituer un repère, une référence pour les 3 autres membres. Cela te démarquait-il vraiment du groupe ? N’as-tu jamais eu cette impression d’être le gardien du temple ?

Et bien, je ne sais pas mais comme j’ai été celui qui a créé le groupe, il y a toujours eu un côté gardien dans mon implication.


40 ans plus tard, quel regard porte Jet Black sur cette aventure humaine exceptionnelle qu’ont vécu les Stranglers ?

Extraordinaire, tellement extraordinaire que si je devais raconter l’histoire, on ne me croirait pas. En fait, ce voyage devrait être conseillé à n’importe quel jeune homme désirant se préparer au long voyage de la vie.


Hugh Cornwell n’est plus avec vous : as-tu encore des contacts avec lui ?

Non.


Beaucoup de fans pensent que son départ a constitué un gâchis, tant musical que sur le plan humain. Cela aurait-il pu être évité ? Quel est ton avis ?

Je pense que vous devriez poser la question à Hugh. Il n’avait pas l’air d’être prêt à faire quoi que ce soit d’autre que partir.


En 40 années de carrière, y a-t-il quelque chose que tu regrettes ? quelque chose que vous auriez pu ou dû faire autrement ?

La seule chose qui me vient à l’esprit est que j’aurais dû commencer plus tôt mais alors, le résultat aurait été complètement différent.


Avez-vous eu une discussion sérieuse avec les autres membres du groupe sur ce que vous feriez au cas où tu t’arrêterais ? il semble qu’il y ait un léger désaccord entre JJ et toi sur ce point…

Je ne me rappelle pas avoir eu une discussion à propos de retraite. Réellement, la retraite n’a jamais fait partie de mes plans pour le futur. J’ai toujours pensé que je ferai du rock jusqu’à ce que je tombe.


Enfin un dernier mot, comment vas-tu ? 

Je me fais vieux et je commence à le ressentir.


Avec cette interview, Jet inaugure une série d'articles "Spécial 40e anniversaire". Ce fut un immense plaisir et nous le remercions d'avoir répondu à nos questions.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cette interview ! Toujours un excellent travail des membres du blog et la gentillesse et la disponibilité de Jet!

eric2vini a dit…

Super Interview de Jet Black. On y apprend plein de choses ! Eric D.